Le matin, j’attendais avec impatience que Lucas s’en aille. Au bruit du claquement de porte, je me ruais sur le téléphone. Fébrile, je composais le numéro de Noémie. J’espérais l’avoir au bout du fil. Ce fut le cas. Elle ne pouvait pas parler. Elle me donna rendez-vous dans un café proche de chez moi dans la soirée. C’était parfait. Je fis ma toilette, enfilais un jean et un débardeur. Je secouais ma tête pour que mes cheveux se mettent en place. Ce fut une réussite. La coupe de Noémie était parfaite. J’enfilais mes tongs. Il faisait trop chaud pour mettre des bas ou des chaussettes. Je descendis au parking pour prendre ma voiture. Elle était petite et facile à garer. Je voulais trouver un magasin où je pourrais acheter une robe similaire à celles que portait Emmanuelle ainsi qu’un collier de perles qui ressemblerait au sien. J’étais en train de m’identifier à elle. J’arrivais à hauteur de la rue de Sèvres où il y avait des magasins branchés. Je ne trouvais pas mon bonheur. Bredouille, je revins dans mon quartier. Je garais ma voiture non loin des boutiques de mode de la rue de Passy. Je finis par trouver ce que je cherchais. J’essayais plusieurs robes. Je la voulais sexy et qu’elle mette mon corps en valeur comme celles du film. La robe que je finis par choisir après beaucoup d’hésitations était blanc cassé avec des pois rouges. Le décolleté était plongeant. J’avais plus de poitrine qu’Emmanuelle et un autre genre de gabarit et de style. Pourtant, ce n’était pas difficile de m’identifier à elle. Elle me servait de modèle pour avancer sur les traces de « l’autre moi, » la friponne sexy que je ne connaissais pas encore. Le tissu de la robe ressemblait à de la soie et laissait deviner mes courbes. Elle était courte, au dessus des genoux. La vendeuse était mignonne, jeune et brune avec des cheveux courts et bouclés. Elle m’avait aidée pour le choix de la robe. Elle me suggérait d’acheter un soutien-gorge qui mettrait plus en valeur la naissance de mes seins. Il devenait nécessaire que je m’équipe en lingerie fine et coquette. Cette petite vendeuse était de bon conseil. Je tâtais discrètement les liasses de billets dans mon sac à main, subtilisées à mon mari, après ses parties de poker et de que sais-je ? Cela m’évitait de dilapider l’argent de mon compte avec ma carte bleue. Je souris car visiblement, j’étais moins cruche que je ne le pensais. Il me fallait aussi une paire de bottines comme Emmanuelle et un nouveau rouge à lèvre rouge vif ainsi qu’un crayon pour dessiner le contour de ma bouche. Il était déjà 16 h 30. J’allais tenter de terminer mes achats avant de voir Noémie. Je me trouvais à 10 minutes du rendez-vous, à pied de chez moi. Je parvins à tout trouver, mes bottines, le rouge à lèvres et surtout l’emblématique collier de perles. Je me sentais heureuse et en phase avec l’inconnue que je mettais en vie. Finie l’existence de zombie, de morte-vivante. Des hommes me regardaient bien que je ne fus pas dans une tenue avantageuse. Je devais dégager des énergies de bombe sexuelle refoulée prête à exploser avec l’un d’eux. Où était passée l’épouse résignée et sage de M. Ditchinsky ? Il ne me manquait plus que le célèbre fauteuil en osier d’Emmanuelle.
LE PREMIER ACTE À ACCOMPLIR
Je rentrais chez moi cacher mon butin. Il ne fallait pas que Lucas tombe sur mes achats. Il était impératif qu’il continue à me voir comme avant. J’avalais un verre d’eau d’un trait, tant j’avais soif à cause de mon excitation. J’allais transgresser des interdits. Le sexe et moi c’était compliqué si je laissais mon côté « frigo » prendre les rênes. Je sentais mon corps en effervescence, mon cœur battait vite, j’avais un peu peur de mes nouvelles audaces. En tout cas, aujourd’hui, je n’avais rien d’un zombie. Je planquais aussi les liasses de billets qui me restaient. Palper cet argent me procurait un plaisir intense. J’aimais l’argent. Il me plaisait de me sentir comme une « pute » et cela m’excitait de pouvoir agir en tant que telle. Je fonçais au café où je retrouvais Noémie. Elle sirotait un jus de fruit, toute vêtue de vert pomme et rose. Elle se mettait rarement en jupe et ne se fardait quasiment pas. Elle avait un style personnel et possédait du sex-appeal. Elle aimait le sexe et les hommes. Elle appréciait les avancées du féminisme sur le plan pratique à cause de l’avortement et de la pilule mais elle prônait la sexualité au plus près de la féminité. Là où l’on se permet rarement d’aller. J’en représentais l’exemple parfait. J’étais en train de prendre en compte ses théories. Elle me détailla avec une moue de réprobation. Ma tenue de ce matin ne semblait guère l’emballer. J’avais transpiré et j’avoue que je n’avais pas fait un gros effort vestimentaire. On a ri et nous sommes passées à des choses plus sérieuses. Je commandais un verre de rosé pour être prête à écouter les actes que je devrais accomplir. Devant l’air solennel de Noémie, je pouffais de rire. Mes nerfs lâchaient dans le fou rire. Je lui racontais ma journée et mes achats d’une voix saccadée et nerveuse. Elle souriait, visiblement contente, je l’amusais. D’un ton qui se voulait grave, elle me lança :
« Tu es prête à accomplir un premier acte sans te rétracter ? Elle ajouta doucement mon prénom : Robin. »
J’étais Américaine par mon père et je m’appelais de mon nom de jeune fille Robin Fellow’s. Ma mère était russe, assez représentative des personnages de romans slaves, de grands amoureux, torturés, et souvent portés sur la boisson. L’amour fut sans doute sa faille. Il existe un mystère concernant ma mère qui fait partie des secrets de famille et qui a empoisonné ma vie. Noémie me demanda si je l’écoutais vraiment. Je lui répondis que je pensais à ma famille.
« Tu veux porter ta croix toute ta vie ou bien profiter du temps qu’il te reste pour t’éclater ? ».
Je la regardais, elle semblait sérieuse. Elle me bousculait dans la lenteur de mes vieilles habitudes. J’avais un héritage difficile à gérer qui me venait du coté slave et compliqué de ma mère. Je lui répondis avec un zeste d’inquiétude :
« Vas-y Noémie, dis-moi ce que je dois accomplir comme premier acte.
─ Tu vas coucher avec un homme que tu ne connais pas.
─ Quoi, lui répondis-je affolée, tu plaisantes ?
─ Non, ma chérie, pas du tout. »
Je me mis à tousser nerveusement jusqu’à en avoir les larmes aux yeux.
─ « Tu es sérieuse ? lui dis-je dans un souffle.
─ Tout à fait » me répondit calmement Noémie.
Elle ajouta avec douceur « Si tu le veux, bien sûr. »
Nous étions dans un café Place de la Muette. Il y avait du monde sur la terrasse. Ce début de printemps était exceptionnel. Je me sentais bizarre mais j’étais prête à faire ce qu’elle me suggérait. Je souhaitais seulement plus de détails concrets tant la proposition me paraissait absurde. Où, quand et avec qui ? Noémie me parla d’un hôtel, le Sofitel de la rue Saint-Honoré pour mon premier acte libératoire. On déjeunerait toute les deux au snack de l’hôtel, puis je partirais rejoindre l’inconnu dans sa chambre. Elle connaissait l’homme en question. Sans doute avait-il été son amant. J’osais lui demander :
« Comment je vais faire pour m’envoyer en l’air avec un homme « à froid », sans l’avoir vu ni lui avoir parlé avant ? »
Noémie répliqua avec humour :
─ « Voyons Robin, le temps que tu trouves un mec et en plus qui parvienne à t’arracher à ta précieuse petite vie aseptisée, quasi sans sexe et à te chauffer jusqu’à ce que tu craques, tu seras déjà vieille. Allons, ma petite chérie, tu n’es plus de la première jeunesse, il faut prendre le taureau par les cornes et ne pas réfléchir. »
Elle avait raison. Je souris en touchant mon pendentif de chez Dinh Van et finis mon verre de rosé cul sec. Noémie rit devant ma moue perplexe et inquiète, tout en sirotant sa boisson rose bonbon avec une paille, l’œil pétillant. Toutes ces mises au point semblaient l’enchanter. Un homme à la table à coté nous observait. Noémie lui décocha un rapide coup d’œil de connaisseuse. Il était jeune et joli garçon. Elle lui sourit. On régla l’addition. Elle m’appellerait demain afin de mettre au point le jour et l’heure de mon premier acte.
COGITATION ET PRÉPARATION A L’ACTE POUR ROBIN
Rentrée chez moi, je courais vérifier mes nouvelles affaires. J’avais méticuleusement mélangé ma robe Emmanuelle au milieu d’autres vêtements dans ma penderie. Mes bottines et mon collier étaient cachés dans une vieille boite à chaussures. Je prenais une douche. Je me sentais sensuelle et d’humeur à faire l’amour. L’eau tiède glissait sur ma peau et me faisait du bien. Je pensais à Noémie, à mon éveil sexuel tardif. J’avais envie de sourire, d’être féminine et sexy. Avant d’avoir vu le film Emmanuelle, je ne réagissais pas ainsi. J’écoutais les frasques de Noémie sans penser qu’elles pourraient avoir une interférence sur ma propre vie sexuelle. Je me regardais nue dans le miroir de la salle de bain. D’ordinaire, je ne m’examinais jamais dans ma tenue d’Eve. Quelque chose changeait en moi. Ma vie terne, sans amour réel me pesait. Au fond de moi, je me disais que le sexe entre deux personnes ne pouvait pas n’être que ce que je connaissais. J’étais persuadée qu’il y avait autre chose. Le lendemain, j’avais mon rendez-vous pour rejoindre l’inconnu du Sofitel. Cela me convenait comme lieu. Un cinq étoiles, rien que ça. L’argent m’attirait, le côté « pute » des femmes aussi. Il était temps de rencontrer cette facette de moi. Lucas arrivait. Il faisait toujours grise mine quand il rentrait comme si la journée avait été harassante. C’était une façon de s’assurer que l’on ne discuterait pas. Le fait est qu’on n’avait surtout rien à se dire. Il enfila ses pantoufles. Je m’étais fringuée avec un vieux short et un débardeur de la même année. Je ne voulais surtout pas que Lucas voie un changement chez moi. J’étais sa bobonne tristounette, sans vie. C’était parfait. J’essayais de ne pas trop penser au Sofitel et à Noémie. C’était difficile, je ne pensais qu’à ça en avalant gloutonnement ma part de côte de bœuf saignante cuite au four par Lucas. On avait des frites en accompagnement. C’était un délice. Cette nourriture excitait mes sens et ma sensualité. Mon mari me regarda surpris et me dit :
« On dirait que tu n’as pas mangé depuis plusieurs jours. »
Je répondis mollement, contrairement à la cadence de ma mastication :
« Je suis désolée de manger aussi salement, c’est vrai que j’avais très faim. »
Fin du dialogue, mon mari continua à regarder la TV. Je ne l’entendais même pas tant j’étais occupée à ronger l’os de la côte de bœuf. C’était ma spécialité, même au restaurant. Ce que j’ignorais, c’était qu’une femme pouvait ronger gloutonnement autre chose qu’un os de côte de bœuf. Je n’en étais pas encore là.