Hello Emmanuelle (partie 08)

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LA VÉRITÉ, CELLE DE L’APPARENCE

Avec Lucas, c’était mortel. Je ne voulais pas d’émotions, de disputes, de jalousie, ni me sentir délaissée ni abandonnée. Pour cela, il fallait ne pas aimer. L’amour adulte m’avait déplu à cause de mes parents qui se disputaient sans arrêt. Je ne savais pas pourquoi et c’était insupportable. J’étais impuissante à les arrêter. Ils méritaient d’être culpabilisés. Les parents devraient montrer le bon exemple.

J’étais rentrée chez moi à contre cœur. Je réalisais que j’avais envie d’émotions, de sexe, de sentiments quels qu’ils soient. Tout au fond de moi, je hurlais mon désespoir. Je devais poursuivre mes expériences même si je devais en souffrir. Pour moi, expérimenter l’état amoureux, c’était se risquer à éprouver de la peine, mais aussi, pourquoi pas, des joies. J’avais pris ma douche. Lucas venait d’entrer. Je n’avais pas pensé à vérifier si Alexia avait préparé quelque chose pour le dîner. J’ouvrais le frigo et découvris du carpaccio, de la vinaigrette pour la salade et une magnifique laitue prête à être dégustée. Comme j’étais reconnaissante à Alexia d’avoir prévu ce repas. J’étais affamée. Lucas avait comme d’habitude, la mine renfrognée comme s’il venait de perdre un être cher. C’était réellement mortel d’être mariée avec lui. Mais devenir amoureuse pouvait se révéler mortel aussi. Comme Hamlet, je me posais la question d’« être ou ne pas être, vivre ou ne pas vivre ? » Je m’asseyais à table en face de mon mari. Je me goinfrais, Lucas me jetait des coups d’œil désapprobateurs. Je crois que je le provoquais. Il était guindé, obséquieux principalement avec les personnes fortunées et haut placées. Cela m’avait toujours exaspérée. Il ignorait que j’avais décidé de prendre le risque d’être vivante. Je lui fis un sourire gras avec le carpaccio, l’huile d’olive et la salade verte plein la bouche et les dents. De toute évidence, quoi que je fasse, je n’avais aucun pouvoir de séduction sur lui et pire, j’agissais comme une sale gosse. Je crois qu’il me voyait ainsi et non comme une femme. Je le regardais le nez dans son assiette, l’esprit ailleurs, c’était désespérant de vivre ainsi. Il me servit du rosé. Je commençais à me sentir mieux. Il était de plus en plus pincé. Sa bouche mince ressemblait à une fente. Son obsession de la discipline et des bonnes manières me semblait incompatible avec celle que j’étais.  Comment j’allais faire à Genève si je devais obéir au deuxième inconnu ? Voilà que, dans mon imaginaire, j’étais déjà dans le train pour Genève. Si Lucas savait. C’était jouissif de réaliser que j’étais aussi libre que lui. Il pouvait coucher avec des inconnues mais ce n’était pas envisageable pour sa femme. Je n’étais en réalité qu’une projection de la femme qu’il souhaitait, sans appétit sexuel mais avec un insatiable appétit à table. Je pense qu’il me voyait comme une femme-enfant mais dans le sens péjoratif. En aucun cas, une Lolita. Je m’interrogeais si lui aussi avait un double ? Peut-être que je pourrais l’aimer ? Nous vivions chacun avec nos doubles, celui de l’apparence. C’était un drôle de mariage, sans doute que je n’étais pas la seule femme qui vivait une double vie au sein de son foyer. C’était un sujet qu’on pouvait difficilement aborder. Je ne pouvais pas demander aux femmes des amis de mon mari si elles avaient une double vie. Certaines d’entre elles, fières de leur audace, me racontaient leurs frasques. Elles étaient passées à l’acte parce qu’elles en avaient par-dessus la tête d’être trompées. Elles en avaient tellement assez que les plus prudes d’entre elles s’étaient mises à enfin assumer d’avoir des relations extra-conjugales. Elles semblaient ravies et c’était une manière de se venger des trahisons de leurs époux. Elles appliquaient la formule « œil pour œil, et dent pour dent » en toute discrétion. Elles m’amusaient car je n’aurais jamais pensé qu’elles puissent franchir le pas de l’adultère. Une fois que c’était fait, plus rien ne les arrêtait. La culpabilité des premiers temps avait disparu.  Leurs rendez-vous étaient programmés suivant les matchs de foot, les heures de travail supplémentaires ou les parties de cartes. On savait que nos maris se couvraient les uns les autres. Ils avaient l’air si innocent, et pas particulièrement obsédés par le sexe. J’avais souhaité me vanter de l’expérience du Sofitel à mes copines. Noémie me l’avait déconseillé.

─ « Pourquoi ? Lui ai-je demandé.

─ Parce que, me répondit Noémie, on ne peut pas présager de l’avenir. Ce sont tes amies aujourd’hui mais demain elles peuvent passer dans le camp adverse. C’est dangereux de confier son jardin secret.

─ Mais toi, tu es au courant, lui répondis-je.

─ Il y a une différence entre tes amies et moi, me répliqua Noémie. Je ne connais pas ton mari et nous ne côtoyons pas des connaissances communes. C’est toute la différence. Demain tu peux tomber raide dingue d’un mec. Tu veux divorcer. On n’est jamais assez prudent. Tu fais comme tu veux, mais c’est bien que tu sois avisée. De plus les actes que tu fais sont plus risqués que des petites tromperies à la sauvette. Tu prends des risques de découvrir certaines choses de toi que tu ignores. La sexualité est une façon géniale d’apprendre à se connaître mais c’est aussi jouer avec le feu et tu n’es qu’au début de tes aventures. Si tu aimes cette route faite de sensations et d’imprévus, bienvenue à bord. »

Toutes les discussions que j’avais avec Noémie resurgissaient. Elle avait raison, il était préférable que je reste discrète. Elle avait également ajouté avec raison qu’elle serait dans de sales draps, elle aussi,  si mes actes étaient dénoncés. Les hommes que je rencontrais avaient été ses amants. Elle était mariée et agissait d’une manière réfléchie et non par vengeance comme mes amies. Elle aimait à la folie la séduction et le sexe mais souhaitait rester avec son conjoint. Il devait ignorer sa vie sexuelle annexe. Je jetais un œil en coin à Lucas tandis que je desservais la table et mettais la machine à laver la vaisselle en route. Il m’avait aidée à mettre les couverts et à apporter les plats, il estimait que sa tâche ménagère était accomplie. Il s’était lové dans le canapé du salon face à la TV. Il cherchait un programme à regarder. Il avait défait la boucle de la ceinture de son pantalon et retiré sa cravate. Il ne me regardait pas. Je ne le trouvais pas sexy, cela semblait réciproque. A l’extérieur, il agissait autrement, surtout avec les femmes. Ça m’agaçait, tant il se complaisait à tenter de les séduire. Il n’était pas discret. C’était vexant pour moi.  Avant le Sofitel, je ne me posais pas autant de questions. Je subissais mon mariage et l’attitude indifférente de mon mari comme si c’était normal. Je me demandais si je pourrais supporter de vivre ainsi encore longtemps. J’avais une TV devant mon lit. Mon mari me l’avait achetée pour pouvoir regarder ses émissions en paix. J’aurais aimé aussi avoir deux lits jumeaux. Je ne pouvais pas en parler à Lucas sans prendre le risque d’éveiller ses soupçons. Je m’endormis devant la TV.